05 janvier 2014

NOS UNIVERSITÉS DEMEURENT L'UN DES PLUS BEAUX TERRITOIRES DE FICTION À EXPLORER. Retours et analyses un peu critiques sur la perception de nos institutions

"L'homme a ce choix : laisser entrer la lumière ou garder les volets fermés." [Henry Miller]

J’ai préféré laisser passer quelques années avant de rapporter la singulière expérience vécue suite à la remise en 2010 du rapport de la commission Culture et Université à la Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche de l’époque. Celle-ci avait fort bien relevé combien le cinéma américain - mais c’est aussi le cas du cinéma scandinave, allemand, anglais, extrême-oriental - fonctionne sans doute comme l’un des plus meilleurs «outils de promotion» de l’image des universités sur leurs territoire d’attache, ce que nous avons depuis développé dans l’ouvrage co-écrit, avec Damien Malinas, consacré au Films de Campus dans le monde. Bien entendu, il ne s’agit pas d’un outil de promotion direct, mais plutôt d’une préoccupation partagée en matière de représentations de l’université, des étudiants, des professeurs, des campus, qui, dans l’ensemble de ces pays, sont au coeur des enjeux sociaux, des enjeux de progrès et d’avenir. Les Films de campus portent à la fois les aspirations et les doutes de la jeunesse, mais également les ambitions et les inquiétudes liées à la science, aux chercheurs. Ils sont aussi et surtout - du plus nanar au chef-d’oeuvre - un des médias les plus forts d’où l’on peut observer la manière dont on pense nos mutations sociales. Dans l’ensemble des pays dont on vient de parler, l’Université est un lieu fantasmé, un lieu de désir, un lieu où l’on fonde nos espoirs en l’avenir. Dans l’ensemble de ces pays, sauf… en France. C’est au reste une des conclusions les plus importantes de notre rapport Culture et Université. 

Parmi les préconisations que nous avions faites en 2010 : la nécessité de conquérir une véritable place pour nos universités dans les médias, notamment de service public, dans les mondes de la culture pour en tenter d’infléchir à la manière de ce que nous pouvions observer à l’international la réflexion de nos «auteurs de représentations» pour qu’ifs s’emparent positivement de l’université. Très justement, la Ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, convaincue de l’importance de partager ce point de vue, m’avait alors demandé d’aller présenter au ministre de la Culture et de la Communication d’alors les conclusions de ce rapport. Sans doute trop absorbé par ses «récréations» dans la vie politique, il confia à l’un de ses conseillers - nous lui donnerons ici le pseudonyme de «Francis Lassonnette» - la direction de la réunion de restitution des propositions de notre commission. Il me semble aujourd’hui important de retranscrire ici les propos de ce Monsieur «Lassonnette», non pour affliger ce conseiller, mais parce qu’il m’est apparu comme assez représentatif d’un certain état d’esprit malveillant à propos de l’Université française, cet état d’esprit même que nous espérions voir évoluer en allant à sa rencontre : «donner une meilleure représentation des universités ? Faire une fiction ou une émission sur les universités dans les médias de service public ? Mettre en place un concours du scénario mettant en scène un campus, un professeur ou des étudiants positivement ? Vous plaisantez - m’affirme Lassonnette -, déjà qu’on a donné aux universités la possibilité de gérer leur patrimoine alors qu’elles sont incapables de l’entretenir, que la plupart des universités sont moches, comment voulez-vous que cela inspire un auteur ? Quoi ? Une résidence d’artiste dans une université ? Vous rêvez Monsieur… Dans une Grande École, Sciences Po ou Normale Sup, je comprends, mais à l’université, Franchement… Nos artistes sont très bien payés et comment voulez-vous que les choses se passent bien avec vos profs sous-payés ? Comment voulez-vous que le dialogue s’instaure dans de telles conditions ? L’un enviera toujours l’autre? Et puis vos étudiants d’université, Monsieur, en quoi cela nous intéresse qu’ils se sentent mieux ou plus concernés par les initiatives du Ministère de la Culture et de la Communication… Ce sont de toutes façons nos publics captifs, que voulez-vous qu’on fasse de plus pour eux…» Procès en règle des universités peu récréatif, il faut l’avouer, par l’un des principaux conseillers du ministre auteur de La Récréation dont je ne suis pas certain que s'il avait lui-même pris en charge cette réunion, les choses se seraient passées de la même manière

Il en fallait cependant plus pour me décourager. Puisque le Ministère de la Culture de l’époque ne comprenait visiblement pas l’intérêt pour notre Enseignement Supérieur et notre jeunesse étudiante de se faire une vraie place dans les mondes de la Culture, je décidais d’aller directement parler à des responsables de médias nationaux à commencer par le Président de France Télévisions justement présent et accessible lors du Forum d’Avignon 2010, alors même qu’il était venu écouter un séminaire organisé par et pour nos étudiants dans l’amphi 2 de notre université : «Non, notre groupe ne pense pas qu’il faille faire quelque chose de particulier pour les étudiants et l’université. Vous savez, vos étudiants sont sur internet et derrière leurs ordis, à la limite pensez une rubrique sur notre site, mais autrement consacrer une émission à l’enseignement supérieur, non, je n’en vois pas l’intérêt. Prenez donc rendez-vous si vous le voulez avec un de mes collaborateurs, parce que là franchement je ne comprends pas ce que vous voulez». Amer constat à l’image de ce directeur de théâtre à qui je faisais un jour remarquer qu’il n’avait pas de tarifs spéciaux pour les étudiants et qui me répondit qu’il n’en voyait pas l’utilité puisque même à prix réduit, il était certain qu’ils ne viendraient pas. En effet, on vient rarement là où l’on ne se sent pas accueilli, c’est-à-dire que l’on va là où l’on se sait que l’on pourra exister parce que représenté dans les catégories qui nous montrent que nous sommes effectivement «pensés. Le rendez-vous fût tout de même pris avec l’un des collaborateurs du Président de France Télévisions, féru de scripted reality et indéniablement habité de valeurs très divergentes des miennes en ce qui concerne les missions d’un service public de qualité. Sans surprise, le collaborateur du Président, pourtant bien conscient du vieillissement du public de ses chaines de service public, m’offre un nouvel argument autant inédit que déconcertant afin de m’expliquer pourquoi rien ne sera fait sur les universités sur France Télévisions : «Vous savez Monsieur, il faut avoir conscience que parler des universités à la télévision dans une fiction, si ce n’est pas noir et dramatique, si cela ne parle pas par exemple de prostitution en milieu étudiant comme Mes chères études d’Emmanuelle Bercot, ça n’intéressera pas Télérama. Alors si ça n’intéresse pas Télérama, ça ne nous intéresse pas. Il nous faut du « un peu plus trash réaliste » pour parler de la jeunesse que des teens movie à la sauce Indiana Jones». Curieuse caricature décalée et réductrice de Télérama et curieuse justification inter-médias. Bien sûr, on rencontre ici et là quelques journalistes qui vous expliquent plus sérieusement que : «S’ils ne parlent pas de sujets un peu sombres - des étudiants qui quittent la France, de la misère en milieu étudiant, de la dette de l’enseignement supérieur ou de celle de nos étudiants, des grèves -,… Leur rédaction retoque systématiquement les sujets sur les universités».

Seul écho favorable et d’importance dans ces rencontres d’alors, le Directeur de France Culture : «Vous avez raison, monsieur, j’appelle immédiatement mes collaborateurs, on va imaginer ensemble un chaîne de radio entièrement consacrée aux universités ». Un an plus tard naissait France Culture Plus avec comme partenaires la quasi totalité des établissements d’enseignements supérieur et de leurs Radios campus… «Vous savez, c’était une très bonne idée que vous avez eu et pour cause, aujourd’hui, certaines radios privées se demandent pourquoi elles n’ont pas pensé plus tôt que les presque trois millions d’étudiants français sont un public à particulièrement choyer, vous savez, comme vous le dites souvent : ce sont eux les publics de demain». Virage positif à 180° dans les paroles du Directeur de France Culture au regard de tout ce que j’avais entendu jusqu’alors, mais aussi dans ceux de notre nouvelle Ministre de la Culture et de la Communication, convaincue d’emblée de l’importance des liens entre jeunesse étudiante et culture, ainsi que de notre nouvelle Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, elle aussi persuadée de l’importance de rectifier la juste image de nos universités dans l’espace public de nos représentations. Une question centrale d’intérêt général. Elles vont décider en juillet 2013 de passer à l’acte en signant ensemble à Avignon la première convention nationale Culture et Université afin de donner un cadre concret pour rapprocher les Mondes de la Culture et ceux de l’Université. Ceci étant posé et rappelé, il ne faut pas être naïf car, si c’est un bon début, une convention ne gommera pas les aprioris dont Lassonnette et autres PDGs de grands médias ne sont que les pourvoyeurs les plus visibles. Il s’agit de comprendre pourquoi, en France, l’Université ne suscite pas un désir plus fort chez les « auteurs de représentations » au sens le plus large possible. 

Tentons d’avancer trois raisons cardinales : 
  • La première tient à nos universités elles-mêmes et l’imaginaire français qui continue à leur coller en tant que lieux de toutes les rébellions, de toutes les possibles manifestations, une image plus post-soixante-huitarde que celle du premier lieu où l’on construit la mobilité sociale et l’avenir de notre nation en promouvant nos nouveaux talents tant sur le plan national que sur le plan européen et international,
  • La deuxième tient à une méfiance vis à vis de la jeunesse étudiante mais aussi des lieux de recherche et de savoirs en France. Paradoxalement notre pays qui se pense comme un pays exemplaire sur le plan culturel charrie de véritables complexes pour mettre en avant sa recherche universitaire comme source majeure de ses possibilités de progrès. Aussi faut-il légitimement se demander pourquoi la recherche, l’université, la jeunesse étudiante n’est pas un lieu central d’inspiration chez nous, pourquoi l’expression même «c’est trop universitaire» est utilisée pour disqualifier des paroles, des personnes et des actes plutôt que pour les valoriser,
  • La troisième est plus mécanique. Une partie de nos "élites", et notamment  de nos élites médiatiques, se sont en général construites contre l’université, la plupart ayant fréquenté d’autres lieux de formation, ayant été formées hors du reste de la société, elles ne peuvent considérer l’université autrement que sous l’angle de l’expression d’un sujet social, voire d’un problème ou d’un malaise social qu’elles ont elles-mêmes inventé au mieux par méconnaissance, au pire par mépris.

Je partage avec Pierre Bourdieu l’idée que les sciences sociales ont un incroyable pouvoir de dévoilement des problématiques qui habitent le monde social, et que toutes les opérations de dévoilement que nous menons possèdent leurs vertus libératrices et de progrès si l’on sait s’en saisir. J’espère que ces prises de conscience trouveront leur utilité et permettront de transformer durablement la confiance que nous plaçons dans notre recherche, nos universités et notre jeunesse. Les représentations des lieux d’enseignement supérieur et de recherche que nous offrons correspondent strictement aux aspirations et aux espoirs que nous fondons dans notre propre devenir. Si nous ne nous représentons pas que nos universités sont aujourd’hui nos plus belles fabriques du futur, nous ne prenons au fond qu’un seul risque, celui de livrer ce futur à l’analyse des seuls soi-disant experts des médias déclinologues toujours enjoués à balancer notre jeunesse, nos universités et notre recherche en sacrifice dans le volcan de leurs bons mots dépréciatifs pour nourrir une méchanceté éruptive d’images qui leur donnent - comme le pensait Voltaire - la pauvre illusion qu’ils sont intelligents alors même qu’ils ne compensent là qu’une patente médiocrité scientifique et culturelle. Cette prise de conscience partagée par nos ministres actuelles et notamment Aurélie Filippetti et Geneviève Fioraso est essentielle. Elles sont aujourd’hui en mesure non seulement de faire changer les choses sur le plan national mais également sur le plan européen car les pouvoirs de la culture, ceux de nos universités et ceux de la jeunesse se doivent de prendre un rôle leader sur la scène internationale en ce qui concerne le « soft power » des représentations. Nous sommes les seuls à avoir autant d’atouts dans la même main pour construire notre futur et faire de nos rêves l’humus écologique de notre progrès.